L’addiction s’il vous plait !
Je suis une esclave. Une esclave des temps modernes. Enchainée à un fil qui n’existe plus, à des chaines que j’ai tissées de mes propres mains, nées de ma seule volonté. J’ai laissé volontairement et pas à pas entrer dans ma vie, dans mon intimité, un tyran égocentrique. Il a toute mon attention, tout le temps, et si je m’en détache un instant, il me rappelle bruyamment à l’ordre. Il me harcèle jour et nuit et je le laisse faire.
Cela fait plus de dix ans maintenant qu’il partage mon quotidien. Ce compagnon bien trop présent a eu l’intelligence de m’aborder avec douceur, me proposant juste au début de me distraire un peu. J’ai accepté volontiers, je l’attendais. La malheureuse. Il a fait de moi une dépendante. Je ne peux pas dire qu’il m’ait forcée, non, je lui ai ouvert toutes mes portes, je lui ai tout donné, de mon plein gré. Aujourd’hui ma vie repose entre ses mots. Il a toutes mes confidences, en chevalier servant idéal il sait tout de moi, de mes goûts, de mes envies ; il connaît mes photos favorites, il sait ce que j’écoute comme musique, il sait les films que j’aime aller voir, il n’oublie jamais une date d’anniversaire. Il sait mieux que personne me relier aux gens que j’aime, mais plus qu’aucun autre il sait aussi m’en séparer.
Comme ce magnifique poème de Auden, il est « mon Nord, mon Sud, mon Est et Ouest…Mon midi, mon minuit ma parole, mon chant », il est ma boussole, mon calendrier, mon oreille, ma bouche, il est tout pour moi et je ne suis rien pour lui. Il me hante à chaque instant, me harcèle si je le boude, mais il fait tout ça sans amour. Tout ce qu’il fait pour moi, il pourrait le faire pour n’importe qui. Ce tyran est un salaud. Parfois j’aimerais qu’il disparaisse pour de bon, j’aimerais le voir s’éteindre.
Mardi je l’ai déposé chez son médecin car il était mal en point. Je l’ai laissé 45 minutes. 45 toutes petites minutes. 45 précieuses minutes rien que pour moi. Je me suis sentie pousser des ailes. Je me sentais affranchie, sans attache, pas harcelée, juste libre de faire ce que j’avais envie pendant 45 minutes.
C’est plutôt bien tombé, son médecin se trouve juste à côté d’un Zara. Encore une fois le hasard fait bien les choses… J’ai flâné, sans le regarder, sans lui demander son avis, ivre de cette liberté aussi précieuse qu’inattendue. Je me suis trouvée une petite robe qui ne plaisait qu’à moi, sans lui demander si je pouvais trouver moins cher ailleurs, sans chercher à savoir si elle pouvait aller avec la couleur de mes bottes restées à la maison.
Comme pour me prouver que je pouvais très bien vivre sans lui.
Puis les minutes se sont allongées, j’ai perdu toute notion du temps, je ne savais plus l’heure qu’il était et si j’avais encore un moment à profiter ou pas. J’ai paniqué, il fallait que je le retrouve à tout prix, je regrettais d’avoir pu penser tant d’horreurs à son sujet, j’espérais qu’il était en bonne santé, qu’il avait retrouvé toute son énergie dont je dépends tant.
Alors j’ai couru, oui, moi, j’ai couru. Couru pour le retrouver, couru pour me faire pardonner, couru pour le sauver, couru pour le ramener. Non c’est promis je ne t’abandonnerai plus, viens allez on recommence, tu pourras me harceler, tu pourras m’hypnotiser, tu pourras me couper du reste du monde et je te laisserai faire, il vaut mieux aimer et souffrir que de ne pas aimer du tout non ? Et puis je sais que tu m’aimes aussi un peu, tu te souviens une fois je t’ai demandé de m’épouser et tu m’as répondu un truc super rigolo. Dis (Siri) tu en penses quoi mon smartphone adoré ?…
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